1. Le contexte de la période pré-islamique
Avant l’arrivée de l’islam au VIIᵉ siècle, la péninsule arabique cultivait une société tribale, essentiellement bédouine ou semi-sédentaire, marquée par des conflits intertribaux, une économie pastorale et des zones désertiques hostiles.
Dans ce cadre, le nom que l’on donnait à un enfant avait non seulement une dimension personnelle ou familiale, mais s’inscrivait aussi dans un contexte de symboles tribaux, de rapports de force et de représentations sociales.
2. Noms « rudes » et significations symboliques
2.1. Données et exemples
Il est bien documenté que certains enfants recevaient des noms que nous qualifierions aujourd’hui de « péjoratifs », voire « vilains » : par exemple des noms d’animaux sauvages ou domestiques (« chien », « corbeau », « loup », « renard »…), ou encore des noms évoquant des éléments durs ou inhospitaliers (« rocher », « épine », « tempête »).
Dans une étude récente, on lit : « lots of Arab men and women are named after attractive and strong wild animals. Such a culture is deep-rooted in the ancient Arab history and cultures… »
Un exemple concret : la tribu Banu Kalb (dont le nom signifie littéralement « chien ») compte parmi ses fils des noms tels que « Asad » (lion), « Namīr » (léopard) … « chien », « loup », « ours » apparaissent dans les lignées.
2.2. Pourquoi ces choix ?
2.2.1. Effet de dissuasion ou d’intimidation
Dans une société où les razzias, les batailles inter-tribales et la défense de l’honneur avaient une place centrale, certains noms étaient choisis pour inspirer crainte ou respect : ils jouaient un rôle symbolique ; donner à son fils un nom évoquant un animal redoutable revenait à inscrire dès le départ un esprit de combativité ou de crainte dans l’identité même. Cela rejoint l’idée que « les noms devenaient l’une des armes utilisées pour terroriser l’ennemi ».
2.2.2. Logique de distinction sociale
Parallèlement, le fait que les «nobles» prénoms soient attribués plutôt aux esclaves ou aux clients (et non aux fils libres de la tribu) peut surprendre à première vue. Mais selon certains auteurs, cela traduit une logique : les esclaves, en tant que subordonnés, étaient « nommés pour eux-mêmes » alors que les fils libres étaient « nommés pour l’ennemi ». Un vieux propos attribué à Al‑ʿUtba ibn Rāʾiḥ (interrogé par les anciens) résume bien cela :
« Nous nommons nos fils pour nos ennemis et nos esclaves pour nous-mêmes. »
2.2.3. Reflet d’un environnement naturel et culturel
Une étude note que «les noms étaient inspirés par des guerres, des phénomènes naturels, ou les noms d’animaux et de plantes» : le monde désertique, l’animalité, la dureté de l’existence se retrouvent dans les choix de noms.
3. Le changement apporté par l’islam
3.1. Une réforme des noms
Avec l’avènement de l’islam, le rapport au nom change : selon l’étude « The Approach of the Messenger of God … in Naming and its Social Implications », le Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) a encouragé la sélection de «bons noms», de prénoms beaux, positifs, et évitant l’insulte ou l’humiliation.
On trouve même des récits selon lesquels il recommandait de se débarrasser d’un nom dont la signification était négative ou contraire à l’unicité divine.
3.2. Origines et diversité des prénoms « musulmans »
Il est important de souligner qu’il n’existe pas de liste unique de «prénoms musulmans» dans le sens d’une origine uniquement arabe ou islamique : de très nombreux prénoms portés par des musulmans ont des origines perses, grecques, araméennes, voire d’autres langues. Cela s’explique notamment par le fait que la péninsule arabique se trouvait sous l’influence des empires byzantin et sassanide avant l’islam. Ainsi, choisir un prénom conforme à l’islam signifie d’abord s’assurer qu’il ne véhicule pas une connotation négative ou contraire à l’éthique islamique.
4. Que retenir pour aujourd’hui ?
4.1. Le nom comme reflet d’identité
Le nom d’un enfant n’est pas simplement un label : il joue un rôle dans la construction identitaire, sociale et psychologique. Dans la tradition islamique, on insiste sur le fait que le nom doit valoriser plutôt qu’humilier.
4.2. Éthique et bienveillance parentale
Puisque l’islam consacre des relations parents-enfants empreintes de miséricorde, il serait jugé contraire à l’esprit islamique (et à la dignité humaine) de donner ou d’insulter un enfant par un nom humiliant ou dépourvu de sens positif.
4.3. Vigilance dans le choix du prénom
Même s’il n’existe pas de «prénom obligatoire», il est recommandé de choisir un nom dont la signification est convenable, qui n’induit pas un sens péjoratif, ou ne contredit pas la doctrine. Comme le rappelle un ouvrage de référence : « Giving a Good Name ».
5. Conclusion
La pratique du nommage dans l’Arabie pré-islamique, avec ses noms parfois « rudes » ou « humiliants », trouve ses racines dans un contexte tribal, guerrier et naturel. L’arrivée de l’islam a introduit une réforme symbolique et éthique : valoriser l’humain, donner un nom porteur de dignité. Aujourd’hui encore, le choix d’un prénom reste un acte porteur de sens — non seulement langagier mais moral.
Pour aller plus loin
- Juhaina Maen Al Issawi, Cultural-Bound Meaning of Animal Names in Arabic, English Linguistics Research, Vol. 10 n°1 (2021).
- ‘Animals in the religious life of ancient Arabia’, J. Bloomfield, University of Oxford (2025).
- Mustafa al-Jibaly, Our Precious Sprouts: Islamic Regulations for Newborns (chapitre «Giving a Good Name»).
- Encyclopaedia of Islam, article «Ibn Duraid».
- Alter «Naming in the Jahiliyyah and early Islamic period», article PDF (2024) «The Approach of the Messenger of God… ».

